Sous la surface

Dans le désordre...

Envie d’écrire là, maintenant.

Dans le désordre.

Envie, encore, d’écrire mon désarroi et mon mépris face à cet âge adulte, si terne, si prévisible, si pesant…

On est jeune. Les filles parlent garçons et musique, les garçons parlent sport et filles. Et puis d’un coup, sans véritable transition, les jeunes vieillissent et s’accouplent, et les sujets de conversation numéros un et deux sont les gosses et le boulot, le boulot et les gosses. C’est d’un ennui… Parce que pas la moindre étincelle de diversité : le boulot c’est chiant, et les gosses c’est génial. Point.

Ces derniers jours, le nouveau chef d’état remporte tous les suffrages des sujets de conversation. Les adultes n’ont plus que son nom à la bouche. Ils s’insurgent, ils s’énervent. Sans agir, évidemment. Temps perdu, salive perdue, paroles inutiles…

Moi j’ai envie de devenir sourde, tellement ils m’agacent dans leurs rôles de gens sérieux… Le pire, c’est qu’ils seraient bien capables de lui serrer la main avec un grand sourire faux-cul s’il s’avisait de passer par là. Car l’adulte est lâche. Il chie dans son froc, l’adulte, car il tient tellement à sa petite vie pèpère, à ses enfants chéris et à son monospace qu’il renierait sa mère pour les épargner de la tempête.

Car l’adulte est une espèce fatiguée. Il a réussi à acquérir un semblant de calme, et il veut que rien ne vienne le perturber : ça demanderait trop d’énergie de recommencer ! Bien sûr, de temps en temps il vit dangereusement : il boit un coup de trop avec ses potes et il se couche après minuit, ou il trompe sa femme/son mari. Mais ce goût du risque lui suffit, la gueule de bois passe difficilement et une maîtresse/un amant, ça peut devenir envahissant… Alors, il se dit que le jeu n’en vaut pas la chandelle, et il le calme, le jeu…

De toutes façons, il calme tout, l’adulte : les jeunes, les désirs, les joies, les peines… L’adulte est chiant à mourir.

Dans le désordre, toujours, le délai des trois semaines est écoulé. Aucun signe de vie. Jamais cela n’avait été aussi long. Et je vérifie mon portable à peu près toutes les quinze minutes, quand je le peux. Et mon cœur est devenu un yoyo. C’est saut à l’élastique toute la journée.

Parfois je me dis que je devrais faire des courses pour lui préparer une soirée de rêve quand il reviendra. J’ai déjà pour l’instant mis ses bières préférées au frigo. Je crois que je vais finir par les boire… Pourquoi pas ce soir ?

Parfois je me dis que je n’ai jamais été aussi conne, que j’aimerais qu’il disparaisse, pschit ! en fumée, qu’il disparaisse pour toujours, là, ce serait le bon moment, plus de nouvelles, jamais, et tout s’estomperait en douceur, comme un rêve au matin, et je ne saurais plus finalement, quels étaient ses silences, son odeur, sa voix et ses cheveux…

À force de l’attendre, je pourrais devenir pierre, pas la pierre précieuse, juste le caillou biscornu qui attire l’attention sur le bord du chemin.

À force de l’attendre, je pourrais devenir aussi légère que le vent, aussi muette que le poisson et aussi insaisissable que l’eau.

À force de l’attendre, je pourrais m’endormir et vieillir et me diluer dans le temps et, peut-être, respirer béatement des fleurs empoisonnées.

À force de l’attendre, je pourrais aussi redire avec le poète : « Et je ne sais plus tant je t’aime, lequel de nous deux est absent. »

Dans le désordre encore, envie de parler de cette sécheresse du cœur qui m’appelle en me tendant les bras, qui me susurre à l’oreille : « Tu vois, je te l’avais bien dit. Reviens avec moi, nous étions si bien ensemble, nous nous allions si bien l’une à l’autre. Je te l’avais bien dit, les sentiments sont si peu fidèles, si inconstants, ils t’assaillent, te tourmentent et te laissent, ils font de toi leur pantin, et ne t’apportent rien. »

Dans le désordre, un regard d’H et l’envie de poser sur cette page ce vers de Racine, car H est et demeure mon tourment, ma fureur, mon châtiment, et de fatalité il n’est nul besoin dans ma tragédie personnelle, il suffit que mon cœur tressaille à chaque fois que je l’aperçois…

« J’aimais jusqu’à ses larmes que je faisais couler »

De ce vers, aucun rapport avec la vraie histoire, mais je l’aime à ce point qu’en effet, je pourrais même chérir ses larmes.

Dans le désordre enfin, mes rêves comme par hasard. Mes rêves prémonitoires encore, puisque précisément j’avais rêvé de lui, d’H, comme presque à chaque fois que je le vois. Toujours ce même genre de rêve, ce rêve où on me l’enlève, encore, toujours, perpétuellement… Quand cela cessera-t-il ? À quand ce rêve, où on me le laissera ?

Et puis cet autre rêve, après. Le livre, chercher le livre, le grand livre. Et de même, quand le trouverai-je le Grand Livre ? Quand je l’aurais écrit, probablement…

Envie d’écrire, dans le désordre.