Sous la surface

Déchirement

J’aimerais bien que mon ordi tienne le coup…

J’écris avant d’aller me coucher.

J’ai eu une grande montée de blues.

C’est aussi ça, un départ : le déchirement, la séparation.

Comme une envie de retenir encore ce qui nous échappe.

Ca nous apprend à laisser aller, un départ.
Ca nous apprend justement qu’on ne peut pas retenir ce qui nous échappe.

Je pense que si je pars si souvent, c’est que la séparation est précisément ma plus grande peur. Je refuse de perdre ceux que j’aime. Alors je me l’inflige, sans cesse.

Je fais tout toute seule, de plus en plus seule, pour me prouver que je le peux, que j’y arrive quand même.

Et curieusement, oui, j’y arrive.

J’apprends à désapprendre, j’apprends à être déçue, j’apprends à chaque fois que ceux que je considérais comme des amis ne sont que des êtres humains, qui t’aiment tant que tu es présente, et qui t’oublient une fois absente.

Alors oui, j’apprends.

À chaque départ une nouvelle leçon.

Et cette fois-ci, j’apprends que j’ai beau m’imposer la même épreuve encore et encore, elle fait toujours aussi mal.

Cette fois, j’apprends qu’on ne s’habitue jamais à partir, on ne s’habitue jamais à ce déchirement, on ne s’habitue jamais à la douleur de la séparation.

Peut-être que les moines bouddhistes le peuvent, mais pas moi.

Je ne parviens pas à me blinder contre ça.

Et j’ai envie d’arrêter là la mise à l’épreuve. Je sais qu’on surmonte, mais la blessure est là.

Et je ne peux m’empêcher de faire une espèce de bilan. Je suis restée ici quatre ans. C’est mon maximum durant les douze dernières années de ma vie. Trois ans, j’avais fait. Quatre, je pensais en être incapable.

Voilà, j’en suis capable. Capable de partir, capable de rester. Maintenant reste à savoir quel est le plus facile pour moi…

Ici j’ai découvert tellement de choses. Du coup, j’en pleure, forcément. C’est pour ça aussi que je fais toujours tout au dernier moment : dans la précipitation, on évite de réfléchir, on n’a pas le temps. Et c’est mieux…

Ca restera ma terre d’asile.

L’homme de mai m’attend là-bas. Il ne cesse de me le dire.

Je ne vais pas vivre chez lui, j’aurai mon chez-moi. C’est vital pour moi, en tout cas dans un premier temps. Je pense à Bilou en écrivant ces mots et c’est bien mal me connaître, cher Bilou, que de croire que je ferais assez confiance à un homme pour m’installer chez lui alors que j’arrive en terre étrangère ! Et s’il me mettait dehors ? Et si je m’engueulais avec lui (ce qui arrivera probablement parfois) ? Je prendrais le risque de me retrouver à la rue, alors que je ne connais personne ?

Non, un peu de sérieux quand même… L’enthousiasme et la confiance de mes seize ans sont loin derrière moi !

Mais malgré tout, ce soir je me tourne vers cet avenir vierge autant que vers mon récent passé.

Je me dis qu’il m’appartient, que c’est à moi de le façonner, que c’est à moi de m’y rendre heureuse.

Un départ, c’est un déchirement, mais c’est aussi un espoir.

L’espoir d’une vie meilleure, toujours.

Pour conclure cet écrit, je laisse la parole à Baudelaire, qui m’avait prévenue depuis longtemps pourtant…

"Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où !
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !


Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! »
Une voix de la hune, ardente et folle, crie :
« Amour… gloire… bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil !


Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.


Ô le pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?


Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis."


...

"Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,


Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau."