Sous la surface

Invisibles séquelles

Ce métier m’aura décidément appris beaucoup de choses.

Ce soir, j’ai eu l’impression d’être une cartomancienne, avec ces rangées de chiffres à interpréter et ces visages en attente d’un verdict heureux. C’est une intéressante éventualité de reconversion, quoiqu’assez épuisante…

J’ai eu froid et j’ai encore froid. Du coup, je me suis emmitouflée dans un pyjama d’hiver bien cosy et je vais aller me plonger avec délices sous ma couette toute neuve.

Hier soir, mon pote B m’a appelée. Il ne va toujours pas bien. Cause à effet ? Je suis retombée en pleine crise de retour. J’ai élucidé le mystère du double nom du polichinelle et au lieu de m’endormir, je me retournais dans mon lit, repassant dans ma tête des images oubliées. J’étais prête à l’appeler, pour lui poser deux questions. Il m’a fallu toute ma volonté pour me raisonner et me souvenir qu’il ne répondrait jamais à ces deux questions-là.

Mais étranges sont les choses, ce matin je me suis réveillée dans un état proche de celui de ce temps-là. C’est-à-dire totalement déprimée et en rupture totale avec la société, le système et le monde en général. J’ai bien failli rester chez moi ce matin, je n’étais pas loin du précipice.

Il en faut donc si peu ?

Il suffit d’un rien.

Je ne peux même pas mettre le doigt sur ce rien.

Ce qui est certain, c’est c’était quelque chose dans ma conversation avec B, mais je ne saurais dire quoi précisément. Peut-être notre impuissance à tous deux, peut-être notre expérience commune de la même souffrance, peut-être ces secrets que nous savons l’un de l’autre… Peut-être la sensation que lui ne cède pas, là où je me suis inclinée. Il va de l’avant, vers une destruction annoncée, dans le doute et la souffrance. Mais il ne transige pas avec ce qu’il ressent. Il ne s’enfuit pas, lui.

Et bien voilà, je mets le doigt dessus, finalement.

Moi je me suis enfuie. J’ai esquivé. Instinct de survie ou lâcheté, peu importe. Je suis partie.

Alors, tout s’éclaire. Le polichinelle, le seul à avoir refusé toutes mes explications toutes prêtes, le seul à m’avoir démasquée. "Eh, pas avec moi ! Qu’est-ce que tu cherches à fuir?", m’avait-il demandé. Je me souviens très clairement de ce moment précis, dans ma voiture, fumant une clope, enlacés. Par contre, j’ai oublié ma réponse…

On oublie, on oublie, mais le corps se souvient. Depuis ce matin, j’ai cette sensation dans mon corps. La sensation de souffrance pendant ce fichu mois de février et ses environs. Ce n’est pas mon esprit qui se souvient, c’est mon corps. Ankylosé, comme si c’était hier. Des courbatures virtuelles. Des séquelles. Invisibles, bien sûr, comme cette fichue "maladie". Un paludisme mental.

Heureusement, je me suis secouée ce matin. J’ai gagné, une fois de plus. Et je ne suis plus ces hanches osseuses, ce visage aux traits creusés mais mystérieusement lumineux. Je ne suis plus ces yeux éteints. J’ai eu une bien longue journée de réalité. J’ai gagné, une fois de plus. Et maintenant, je peux pleurer…