Clown triste
Je suis bien triste encore.
Mais je ne me désespère plus de l’être. De ça, même, qui m’était si familier, j’ai tellement peur aussi.
Peur d’être triste, parce que peur de tomber.
Et combien même je tomberais, ne me relèverais-je pas ? Comme je l’ai déja fait, comme je l’ai toujours fait et comme je le ferai toujours.
Il n’y a aucune fierté à ne tomber jamais, il n’y a aucun mérite.
Alors si je dois tomber, je tomberai, encore. Et voilà tout.
Je suis bien triste encore. Et ça me plaît, à moi, d’être triste, là, tout de suite.
Je n’ai plus personne à détruire d’autre que moi, alors est-ce que ça compte vraiment si je me fais du mal ? Je n’en ferai à personne d’autre à présent. Tout le monde est à l’abri de moi.
Je n’ai que moi et mes deux mains. Et mes poumons que je fais gaiement grésiller. C’est qu’elles m’ont manqué, mes cigarettes.
Je suis triste et peut-être que ça me fait du bien de me l’avouer, de l’accepter.
J’ai pris ma décision. Je vais essayer de partir, là-bas, dans mon pays où le soleil ne se lève jamais. J’irai y cuver ma tristesse en paix; là-bas, tout le monde est triste. On ne me le reprochera point, j’aurais droit à ma part comme les autres. Et puis la tristesse, c’est bien plus chouette quand on traîne les pieds sous la pluie, la clope au bec et les mains dans les poches. J’irai m’asseoir sur des bancs détrempés et je regarderai les gens passer, tout affairés et indifférents. Je retrouverai mes vieux velours et mes godillots déformés. Je ferai ma Baudelaire, avec une nostalgie d’un ailleurs exotique et je m’endormirai dans les douces volutes d’une fumée de haschich.
Je raconterai mon secret à tous les piliers de bars, compagnons d’infortune et du bout de mes nuits, qui pleureront avec moi sans se souvenir pourquoi et qui m’offriront un dernier petit blanc avec leurs dernières petites pièces pour mieux me consoler.
J’ai assez attendu. Je dois bien l’accepter, maintenant : il ne reviendra plus. J’ai épuisé toutes les feintes que pouvait créer mon pauvre petit cerveau. J’ai fait le tour de la question, des milliers de fois. Et je connais la réponse.
J’ai assez attendu.
Je suis bien triste encore ce soir.
Et ce n’est pas très grave, j’en ai bien le droit.
Aller balader ma peine sur les chemins. On en a encore le droit, non ?