Sous la surface

Vraiment, non.

J’ai honte de ce que j’ai écrit tout à l’heure.

Je viens de passer environ une heure et demie avec celui que je n’ai plus envie d’appeler mon homme à moi. J’avais essayé de l’appeler plus tôt, pour partager le positif, non le négatif. Il n’était pas chez lui, il m’a rappelé, saoûl (ce mec boit trop).

Ce que je lui ai dit m’a fait moi-même réagir. Ses jérémiades et ses reproches amers me semblent une pollution vraiment néfaste.

Ses jérémiades sur la société, si mauvaise… On dirait qu’il le découvre comme un oisillon tombé du nid. Et les reproches qu’il me fait : incapable de faire avancer sa vie, il essaye de rejeter la faute sur les autres, moi principalement, évidemment…

Je l’emmerde. Et je le plains.

Et la fille geignarde d’il y a quelques heures aussi je l’emmerde et je la plains.

Et oui, je pense tout ce que je lui ai dit. Et oui, on est des putains de gosses pourris-gâtés en train de pleurnicher pour des conneries.

Merde ! On jette de la bouffe, on dort dans des grands lits douillets dans des apparts où on pourrait loger trois familles de réfugiés, on ne souffre pas physiquement, on a le temps pour des loisirs, on est libres d’aller et venir, de faire plus ou moins ce que l’on veut…

C’est quoi notre putain de problème ?

À quelques centaines ou même milliers de kilomètres (quoi, quelques heures de vol?), il y peut-être une jeune fille qui a faim, peur, mal et qui n’a plus rien ni personne. Elle dort sous une tente dans un camp, des salauds essaient de la coincer tous les jours, sa famille disparue, sa ville en ruines…

... et moi je pleurniche parce que ... Pourquoi déjà ?

Non, vraiment, non. J’ai honte.

Lui aussi il devrait avoir honte. Il incarne à présent cette partie de moi dont j’essaye de me débarrasser depuis un bon moment. Comme avec S avant lui, les rôles se sont échangés. Il n’était pas comme ça avant, je ne crois pas. Il est devenu ce que j’étais : triste, dur, révolté contre les mauvais ennemis.

Moi je ne veux plus retourner à ce point-là. Non. S’il veut couler à pic, capituler, libre à lui. Moi je ne veux pas. Je me battrai jusqu’au bout.

Je cueillerai au vol les bonheurs éphémères qui me font survivre, comme je l’ai toujours fait. Des moments, des instants. Un éclat de rire, un nuage dans le ciel. Des petits riens. J’en veux plein dautres, je les collectionnerai jusqu’à la fin.

Et je vivrai, bordel ! Et j’irai le chercher, le bonheur, tout éphémère qu’il soit, je le provoquerai.

Et il viendra. Toujours. À petites doses peut-être, mais il viendra toujours.

Je le sais.

Je l’ai vu.