Sous la surface

Je mens

La mélancolie est un état bien agréable parfois.

Depuis un peu plus d’une semaine, je flotte dans cet espace indéfini que j’ai longtemps appelé le "vide".

Je résiste au vertige, tant bien que mal. Les autres ont d’ailleurs tellement l’habitude de me voir résister, qu’ils me poussent à dépasser mes limites. Evidemment, ils ne savent pas véritablement ce que ça implique.

J’en ai encore fait l’expérience l’autre soir, avec mon homme à moi. Il refuse de les accepter, ces limites, y compris mes limites physiques. C’est comme si ma fragilité n’était qu’une comédie, qu’un caprice.

Très bien…

Alors je repousse mes limites et c’est à l’intérieur que je décroche. Puisqu’on veut que je sois forte, je serai forte. Mais à quel prix… Au prix du mensonge, tout simplement.

Je me souviens qu’en partant il y a bientôt trois ans et demi, j’étais totalement dans le mensonge. Je savais que si je disais la vérité, rien de bon n’en sortirait. Je l’avais fait aussi sept avant environ. J’ai toujours caché les choses les plus belles et les plus pures au fond de moi.

Quand j’essaye de leur parler, les autres ne veulent pas écouter de toutes façons. Je leur en veux un peu. Et ma revanche, c’est qu’ils ne savent pas qui je suis vraiment, et qu’ils ne me possèderont de fait jamais vraiment.

Mon homme à moi, peut-être que s’il savait, il me le dirait. Ce serait si simple, il suffirait juste de me dire de lâcher, de me dire que j’en ai le droit, le droit de m’écrouler, de tomber, de m’arrêter comme ça d’un coup au milieu de la route. Personne dans mon entourage ne m’y a jamais autorisée. Alors je ne lâche pas.

Je ne lâche rien.

Et certainement pas ce qui m’est le plus cher au monde…

Depuis la semaine dernière, donc, je passe mon temps à clamer à tue-tête que je ne vais pas bien. Pensez-vous qu’il y aurait une âme charitable qui ferait un geste ? Evidemment, non. Il existe une loi de la nature humaine qui dit qu’il faut fuir comme la peste l’élément faible ou malade. C’est ainsi. Et finalement peu m’importe, je suis assez grande pour n’en être point surprise, ni déçue. Un peu méprisante, peut-être, mais c’est tout.

Alors je mens. Alors je fais semblant comme je sais si bien le faire. Avec un amusement malsain, des fois. Avec agacement la plupart du temps.

Mais à l’intérieur, c’est un grand n’importe quoi. Je me réfugie dans mon monde protégé, immaculé, portée par les musiques et les mots que je vénère.

Ce soir, je me suis laissée emporter vers la mélancolie par une chanson que je n’avais plus écoutée depuis longtemps et qui m’est revenue d’un coup mardi matin, en allant travailler. C’est "Lilac Wine", de Jeff Buckley. Elle résume parfaitement mon état d’esprit.

Et maintenant je nage avec délice dans l’univers de Lhasa.

La mélancolie est bien agréable, parfois.

Je me sens seule, c’est vrai. Terriblement seule. Je suis bien entourée, pourtant. Mais tous ces gens sont comme des extra-terrestres pour moi.

"Listen to me : why’s everything so hazy ?
Isn’t not she or am I just going crazy?"

Ce qui est "marrant", c’est que je sais qu’un jour je m’arrêterai au beau milieu du chemin, sans que personne ne m’y autorise, à part moi. Je suppose que personne ne s’en rendra compte. J’aurais acquis une telle force de dissimulation que ça ne ressemblera même pas à ce que ce sera.