Sous la surface

Entaille

Une entaille de plus.
Une entaille de belle taille.

Mais qui sait ?

Les plus grosses blessures ne sont pas forcément celles qui laissent les plus vilaines cicatrices.

Parfois une petite plaie de rien s’infecte par manque d’attention, et on finit par en crever.

Mais une belle entaille…

Et l’envie parfois de la reproduire tout en haut de mes mains et de regarder le sang s’écouler comme mon écœurement. Aussi visqueux, aussi lourd.

Mais je n’en ferai rien.

J’ai déjà dit ici que le jour où je m’arrêterai, personne n’en saura rien. Personne ne soupçonnera l’entaille mal cautérisée sous l’armure.

Et aujourd’hui tout le monde sait.

C’est un conseil que j’ai appliqué, pleine d’espoir : montrer, dire, partager la souffrance pour mieux la porter. Ce conseil-là n’était pourtant pas encore le bon. Rien n’a changé.

Ils relativisent, bienveillants. Alors je relativise, bienveillante.
Pour leur faire plaisir. Pour leur donner raison. Pour les rassurer.

Mais moi je sais.

Autre chose encore, que j’ai beau leur expliquer, ils ne veulent _ ou ne peuvent _ pas l’entendre.

Alors au final… Comme autrefois, garder le silence, faire semblant, jouer mon rôle.

Et ce n’est même plus douloureux, puisqu’il y a cette autre douleur qui supplante toutes les autres.

Alors ce reste de fierté. Malvenue, puisque si malmenée. Et pourtant…

L’envie de garder tout au fond, et pour moi seule, ce que même lui n’a pas pu me prendre.
Pas pu bafouer.
Pas pu dégrader.

Pas su comprendre probablement…

Intact. Pur. Magnifique.

Sublime.

Alors je marche, puisque marcher il faut.

Et je leur épargne les nuits sans sommeil, les os des hanches qui recommencent à saillir dangereusement, et tous ces petits désagréments que j’avais tenus si loin de moi toutes ces années où je n’ai fait que survivre pour revenir à ce point de départ et point final à la fois.
Et après tout, deux morts valent mieux qu’une. J’étais morte là-bas et je traînais ce pauvre corps comme un automate et voilà que je meurs à nouveau après un si petit éclair de vie. Une corrida bien trop cruelle à mon goût, et mon échine bien trop maigre pour encaisser ce dernier assaut.
Je crois que j’aurais préféré qu’il me tue de ses mains, qu’il élimine la carcasse en même temps que cette petite flamme. Geste bien trop courageux pour ses épaules à lui…

L’entaille est de belle taille et je détourne les yeux comme les autres. Bien trop dégoûtante.

Deux morts valent mieux qu’une et jamais deux sans trois. Mais je compte bien choisir la dernière.